Charles II de Navarre, resté pour la postérité Charles le Mauvais, doit son surnom au chroniqueur Diego Ramirez de Avalos de la Piscina (+ 1566/67), qui écrivit en 1534 la "Crónica de los muy excelentes reyes de Navarra". Des éléments de Diego Ramirez furent ensuite repris par de nombreux chroniqueurs et historiens espagnols et français, jusqu'à ce que ce que Denis-François Secousse (+ 1754) publie une oeuvre faisant autorité, les "Mémoires pour servir à l'histoire de Charles II, roi de Navarre et comte d'Evreux, surnommé le Mauvais", où il s'attache à justifier les raisons de ce surnom.
Ce n'est qu'à la fin du vingtième siècle que Charles II a commencé à faire l'objet d'un jugement plus nuancé.
Charles II de Navarre fut présenté de son vivant et par la suite comme l'un des plus grands empoisonneurs de son temps, héritier de Néron et prédécesseur des Borgia. Mais qu'en était-il vraiment ?
De nombreuses tentatives d'empoisonnement qui lui furent attribuées ne semblent être que des fausses informations de l'époque: l'empoisonnement de Charles V en 1355-1356 et dont il serait mort 25 ans après, celui de sa propre épouse, la reine Jeanne III de Navarre, le cardinal Guy de Boulogne, le comte de Foix...
Plus troublante est la mort du roi Henri II de Castille. Vainqueur de Charles II en 1379 à qui il fit signer le traité de Briones (mars 1379), il le rencontra en mai 1379 à Santo Domingo de la Calzada, non loin de la Navarre, pour la ratification de certains accords. Après les fêtes qui durèrent plusieurs jours, Charles II rentra en Navarre. Dès le lendemain, Henri II se sentit fortement indisposé, puis son état s'aggrava et il mourut quelques jours après à l'âge de 46 ans. Curieusement, on n'accusa pas Charles II à l'époque.
Quant à Seguin de Badefol, chef de compagnie du sud de la France venu en Navarre demander le paiement d'arriérés, il dut le faire de manière fort menaçante à un Charles II qui savait s'acquitter de ses dettes envers les hommes de guerre. Il fut invité à un souper où des coings sucrés assortis de sulfure d'arsenic lui furent servis. Il mourut en janvier 1366, mais Charles II continua de payer sa compagnie, qu'il garda à son service.
Enfin, la prétendue tentative d'empoisonnement du roi Charles VI par un anglais nommé Robert de Woodreton (mars 1385) serait plutôt une machination montée par le Roi de France pour annexer définitivement les terres françaises de Charles II, ce qu'il fit dans les jours qui suivirent la prétendue découverte du complot.
La réalité est donc peut-être différente de la légende, mais une chose est sûre: les techniques de manipulation des dérivés d'arsenic étaient très bien maîtrisées à la cour de Navarre...
1) Jeanne II de Navarre, mère de Charles II, ne pouvait hériter de la couronne de France à cause de la Loi Salique.
FAUX. Au début du XIVème siècle, les femmes n'étaient nullement exclues de la succession royale en France. Déjà, dans la plupart des autres royaumes européens, les femmes avaient accédé à la royauté, comme en Angleterre, Ecosse, Aragon, Castille, au Portugal et en Navarre. Simplement en France, la question ne s'était pas posée depuis Hugues Capet, car tous les rois avaient eu des fils. A la mort de Louis X le Hutin (1316), Jeanne était âgée de 5 ans. Elle était soutenue par Eudes de Bourgogne, mais le parti du comte de Poitiers était politiquement plus fort et l'emporta: il accéda à la régence puis à la royauté, sous le nom de Philippe V le Long. Par la suite, la préférence masculine devint la règle, mais on ne connaissait pas encore la loi Salique. Celle-ci, interprétation d'anciens textes carolingiens ou antérieurs, fut réinventée en 1358 précisément pour contrer le risque que représentait Charles II de Navarre pour la famille royale de France.
2) Charles II de Navarre, dit "le Mauvais", n'avait aucun droit à la couronne de France.
FAUX: La renonciation de Jeanne II à la couronne de France n'a jamais été formelle. Aux termes du traité du 27 mars 1317, conclu à Paris avec le roi Philippe V, il était prévu que Jeanne ne renonce formellement à ses droits sur la France et la Navarre qu'à 12 ans révolus, soit en 1323. En échange, elle recevrait la Brie et la Champagne. Mais Philippe V mourut en 1322 et son successeur Charles IV ne voulut rien entendre des revendications de Jeanne et de son mari Philippe d'Evreux. Elle ne renonça pas au trône et ne reçut pas non plus la Champagne et la Brie. Une fois Jeanne décédée, en 1349, Charles II revendiquerait avec force son héritage, et en premier lieu la Champagne et la Brie. Ce n'est que parce que les Valois tenaient fermement la couronne de France que Charles II ne put la ceindre, malgré ses efforts.
3) Le surnom "le Mauvais" vient des chroniqueurs français suite à son action politique en France, notamment en 1358.
FAUX: Le surnom lui fut attribué en 1534 par un chroniqueur espagnol, Diego Ramirez de Avalos de la Piscina. Celui-ci et sa famille estimaient avoir été spoliés à l'époque de Charles II. Il prétendit que le surnom lui avait été attribué par les Navarrais suite à la répression de la junte de Miluce en 1351, près de Pampelune.
4) Charles II de Navarre, dit Charles le Mauvais, convoitait la Normandie et s'en est emparé.
FAUX: On le lit ici et là, notamment sur internet. En fait, Charles II était comte d'Evreux de par son père et son grand-père Louis d'Evreux. Mantes et Meulan furent également données à Louis d'Evreux en 1317 par Philippe V. Ses parents possédaient déjà des terres en Cotentin, comme Regnéville et Gavray. Au traité de Mantes (1354), Jean II "le Bon" dut céder de nouvelles terres à Charles II, Pont-Audemer, Beaumont-le-Roger, le Clos du Cotentin et Cherbourg. Charles II en était donc légitimement propriétaire.
5) La vente de Cherbourg aux Anglais par Charles II de Navarre a entraîné la guerre de 1378.
FAUX: Cette assertion reprise par de nombreux historiens (dont Françoise Autrand dans son Charles V) est un raccourci de l'Histoire issu des chroniqueurs français dès le XIVème siècle, en premier lieu Froissart. Dans les faits, Charles V tentait depuis plusieurs années de reprendre la Normandie à Charles II. Les années 1376-1377 virent de nombreuses négociations à ce sujet. Début 1378, il décida de les attaquer, ce qu'il fit début avril 1378. En juin 1378, seules quelques forteresses étaient encore navarraises, parmi lesquelles Cherbourg, où les Navarrais de nombreuses garnisons avaient reflué. Dans l'impasse en Normandie, Charles II fit appel aux Anglais et leur loua Cherbourg pour 3 ans en juin 1378. Les chroniqueurs anglais précisent que les Anglais s'étaient rendus maîtres de la ville et en avaient chassé les Navarrais. La cession de Cherbourg est donc une conséquence de la guerre et non sa cause.
6) Charles II de Navarre a tenté à plusieurs reprises d'empoisonner les rois de France Charles V et Charles VI.
SANS DOUTE FAUX: L'accusation d'empoisonnement de Charles V vers 1355 qui l'aurait fait mourir en 1380, 25 ans après, ne tient pas. Le roi était de constitution maladive, ainsi que cela a été maintes fois constaté. Cette accusation est l'interprétation du diagnostic d'un médecin de l'époque. Quant à la tentative d'empoisonnement de Charles VI par Robert de Woodreton - qui aurait agi sur ordre de Charles II - elle permit surtout au roi d'annexer les biens du roi de Navarre, et elle semble tenir de la manigance.
7) Charles II est mort des suites de relations coupables avec une maîtresse.
A PRIORI FAUX: Charles II était malade depuis le début de l'année 1386, comme en témoignent des achats auprès des apothicaires (les archives de Navarre conservent les actes correspondants). En octobre et décembre 1386 on mentionna clairement sa maladie. Il fut mal en point à partir de la mi-décembre 1386 et mourut le 1er janvier 1387. Ces rumeurs de luxure ont été colportées par ses ennemis de la cour de France, qui étaient nombreux.
8) Charles II est mort brûlé vif.
Il a plu aux chroniqueurs français, parmi lesquels Froissart et le Religieux de Saint-Denis, de colporter cette légende qui présentait la mort de Charles II comme un juste châtiment divin. Cela ne correspond pas à la description des derniers jours de Charles II présente dans une lettre de l'évêque de Dax adressée à Blanche de Navarre après son décès. Ce point restera à jamais dans la légende de Charles II.
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